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des poémes


AUTOMNE




Une branche sur l'oiseau
Chantait en perdant ses feuilles
L'automne tenait l'archet
Du violon qui gémissait
Dans le vent venu de l'ouest
Murmurant des choses tristes
Et l'oiseau pleurait tout seul
Fleurissant le sombre ormeau
De ses larmes en corolles
De cristal et d'or nouveau
Et la branche et le moineau
Dans la brume pure et grise
Ont marié leur nostalgie
Au mystère de la nuit.



                     Raïssa Maritain




Maman









Qui coud mes vêtements,
les allonge et ravaude
Sans perdre un seul instant ?
Qui met la «cruche» chaude
Dans mon petit lit blanc ?
C’est maman.
Qui, tout tranquillement,
Accomplit son ouvrage,
Lave l’appartement,
Soigne bien le ménage,
Sait faire un pansement ?
C’est maman.
Qui chaque jour, m’attend
Au sortir de l’école,
Et m’embrasse en riant ?
Qui m’écoute et console
Mes gros chagrins d’enfant ?                    Vio Martin  
C’est maman.
Peut-être…
 
Peut-être qu’on pourrait,
-Dites, voulez-vous essayer,-
Peut-être qu’on pourrait,
Tout le long de l’année
Garder dans son cœur
La joie de Noël…
Ce serait si doux,
Ce serait si précieux.
On la garderait comme un trésor,
Un trésor qu’on partagerait
Sachant que toujours
Il se réveillerait…
Et à ceux qui, peut-être,
S’étonneraient,
On dirait :
«Mais c’est Noël…
Vous ne le saviez donc pas ?»
 
Vio Martin
Le petit lapin
 
Dans le pré qui vers l'eau dévale,
Un lapin sauvage détale.
Un saut bref, un rapide élan,
Et montrant son panache blanc,
Il fuit vers la forêt prochaine.
Une touffe de marjolaine
L'arrête un peu. Faisant le guet,
Il entr'ouvre un œil inquiet,
Et, seule, son oreille bouge
Un bond brusque dans le foin rouge.
Et, n'entendant plus aucun bruit,
Le nez au vent, humant la nuit
Où déjà la lune se lève,
Assis sur son derrière, il rêve.
  
Jeanne Marvig


De sa grande Amie

Dedans Paris, ville jolie,
Un jour, passant mélancolie,
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie demoiselle
Qui soit d'ici en Italie.

D'honnêteté elle est saisie
Et crois (selon ma fantaisie)
Qu'il n'en est guère de plus belle
Dedans Paris.

Je ne vous la nommerai mie,
Sinon, que c'est ma grande Amie,
Car l'alliance se fit telle,
Par un doux baiser, que j'eus d'elle
Sans penser aucune infamie,
Dedans Paris.
Clément Marot

Dedans Paris, ville jolie…
 
Dedans Paris, ville jolie,
Un jour, passant mélancolie,
Je pris alliance nouvelle
À la plus gaie damoiselle
Qui soit d'ici en Italie.

D'honnêteté elle est saisie,
Et crois, selon ma fantaisie,
Qu'il n'en est guère de plus belle
Dedans Paris.

Je ne vous la nommerai mie,
Sinon que c'est ma grand amie;
Car l'alliance se fit telle
Par un doux baiser que j'eus d'elle,
Sans penser aucune infamie,
Dedans Paris.
 
Clément Marot (1496-1544)




Ah ! que la terre est belle,
Crie une voix, là-haut,
Ah ! que la terre est belle
Sous le beau soleil chaud
 
Elle est encor plus belle,
Bougonne l'escargot,
Elle est encor plus belle
Quand il tombe de l'eau.
 
Vue d'en bas, vue d'en haut,
La terre est toujours belle,
Et vive l'hirondelle,
Et vive l'escargot !
 
Pierre Menanteau

 
 
LE VIEUX ROSIER
 
Quand pourrai-je me reposer ?
Dit le rosier,
J'ai tant de roses, tant de roses...
C'est en hiver qu'il se repose.
 
Sait-il alors qu'il a porté
Le poids léger du mois de mai
Sait-il encor qu'une autre année
En décembre il portait trois roses
 
0 vieux rosier, ce poids léger,
Accepte-le comme un poète
Qui, sous la blancheur de sa tête,
Voit s'épanouir la beauté !
 
Pierre Menanteau

 
Le premier jour de l’an
 
Les sept jours frappent à la porte.
Chacun d’eux dit : Lève-toi !
Soufflant le chaud, soufflant le froid.
Soufflant des temps de toute sorte
Quatre saisons et leur escorte
Se partagent les douze mois.
Au bout de l’an, le vieux portier
Ouvre toute grande la porte
Et d’une voix beaucoup plus forte
Crie à tous vents : Premier janvier !
 
Pierre Ménanteau

 
Graffiti
 
La belle enfance a dans sa poche
La transparence des couleurs.
Une sphère de sept bonheurs
Pris dans le cristal de la roche.
 
La belle enfance porte aussi
Parmi son trésor innombrable
Le crayon dur, la craie friable,
Outils secret des graffiti.
 
La belle enfance tient l’épure
Qui sur la piste du départ
Lance la tête du têtard
Embarrassée de son enflure.
 
La belle enfance a dans sa main
L’humanité qui se dessine
Et toute simple s’achemine
Vers les lignes de son destin.
 
                               Pierre Ménanteau

DANS LA NUIT
 
Dans la nuit
Dans la nuit
je me suis uni à la nuit
A la nuit sans limites
A la nuit.
 
Mienne, belle, mienne.
 
Nuit
Nuit de naissance
Qui m'emplis de son cri
De mes épis
Toi qui m'envahis
Qui fait houle houle
Qui fait houle tout autour
Et fume, es fort dense
Et mugis
Es la nuit.
 
Nuit qui gît.  Nuit implacable.
Et sa fanfare, et sa plage
Sa plage en haut, sa plage partout,
Sa plage boit, son poids est roi, et tout ploie sous lui
 
Sous lui, plus ténu qu'un fil
Sous le nuit
La Nuit.
 
Henri Michaux

J’ai ouvert la cage...

 
J’ai ouvert la cage
en pensant
il ne partira pas
parce qu’il est bien ici
 
En plus
j’ai posé la cage
sur le bord de la fenêtre
à coté du soleil
il y avait un peu de vent
aussi
et la porte de la cage
s’ouvrait et se refermait
 
Je ne l’ai pas vu
s’envoler
je l’ai vu
sur la branche du tilleul
devant la maison
et comme il y avait du vent
les feuilles de l’arbre
le cachaient par moments
 
Peut-être
qu’il n’était pas assez bien
Ou peut-être
qu’il ne savait pas
je ne sais pas
 
Ce soir
j’irai poser la cage
au pied du tilleul
Hubert Mingarelli

   
J’attends
J’attends la pluie
Dit le désert.
J’attends la paix
Dit le soldat.
J’attends demain
Dit aujourd’hui
J’attends la nuit
Dit la luciole
Moi aussi dit l’astronome
Moi aussi dit l’étoile
J’attends le vent
Dit la fleur de pissenlit
Moi aussi dit l’oiseau
J’attends mon heure
Dit le prisonnier
Moi aussi dit la liberté
J’attends la paix
Dit le soldat
Tu l’as déjà dit
Je sais dit le soldat
J’attends un enfant
Dit la mère
J’attends tout
Dit l’enfant.
 
Hubert Mingarelli


Pour devenir une sorcière


A l’école des sorcières
On apprend les mauvaises manières
D’abord ne jamais dire pardon
Etre méchant et polisson
S’amuser de la peur des gens
Puis détester tous les enfants

A l’école des sorcières
On joue dehors dans les cimetières
D’abord à saute-crapaud
Ou bien au jeu des gros mots
Puis on s’habille de noir
Et l’on ne sort que le soir

A l’école des sorcières
On retient des formules entières
D’abord des mots très rigolos
Comme "chilbernique" et "carlingot"
Puis de vraies formules magiques
Et là il faut que l’on s’applique.

Jacqueline Moreau
 

LA PLUIE

 
La pluie et moi marchions
Bons camarades
Elle courait devant et derrière moi
Et je serrais notre trésor dans mon cœur
Elle chantait pour nous cacher
 
Elle chantait pour endormir mon coeur
Elle passait sur mon front sa peau mouillée
Et humaine ma chère pluie
Elle tendait l'oreille              
Pour savoir si mon chant silencieux était anéanti
 
Elle me met les mains sur les épaules
Et court tant haut dans la plaine du ciel
Et tant me montre les diamants du soleil
Et tant toujours me caresse la peau
Et tant toujours me chante dans les os
Que je deviens un bon camarade
J'entonne une grande chanson
Qu'on entend et les cabarets et les oiseaux
Disent à notre passage Maintenant
Ils chantent tous les deux.
 Pierre Morhange


L'olivier

Nous nous sommes aimés de nuit sous l'olivier
Ses feuilles brillaient commes des étoiles
Et l'olivier brillait
Sous l'olivier du ciel au feuillage étincelant
Et dans nos deux poitrines
Tume l'as dit aussi
Brille le feuillage pacifique
D'arbres de joie
Là aussi brillent des feuilles entre les feuilles oisines et vivantes
Comme les piuerres d'un gué
sous le torrent approbateur et silencieux
De la nuit lumineuse
 
 Pierre Morhange  



  MILLIERS D’HOMMES
 
Ils sont des milliers
des milliers d'hommes
devant des machines par milliers
 
Leurs milliers de mains
rompent l'acier
leurs milliers de mains
maîtrisent l'acier.
 
Ils sont des milliers et des milliers d'hommes
qui font crier l'acier et trembler le monde.
 
Jules Mougin

*
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ballade à la lune
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
C'était, dans la nuit brune,
 
 Sur le clocher jauni,
 
                         La lune
 
 Comme un point sur un i.
 
  
 
 Lune, quel esprit sombre
 
 Promène au bout d'un fil,
 
                         Dans l'ombre,
 
 Ta face et ton profil ?
 
  
 
 Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
 
Quel chérubin cafard
 
                         Nous lorgne
 
Sous ton masque blafard ?
 
 
 
N'es-tu rien qu'une boule,
 
Qu'un grand faucheux bien gras
 
                         Qui roule
 
Sans pattes et sans bras ?
 
 
 
Es-tu, je t'en soupçonne,
 
Le vieux cadran de fer
 
                         Qui sonne
 
L'heure aux damnés d'enfer ?
 
 
 
Sur ton front qui voyage.
 
Ce soir ont-ils compté
 
                         Quel âge
 
A leur éternité ?
 
 
 
Est-ce un ver qui te ronge
 
Quand ton disque noirci
 
                         S'allonge
 
En croissant rétréci ?
 
 
 
Qui t'avait éborgnée,
 
L'autre nuit ? T'étais-tu
 
                         Cognée
 
A quelque arbre pointu ?
 
 
 
Car tu vins, pâle et morne
 
Coller sur mes carreaux
 
                         Ta corne
 
à travers les barreaux.
 
 
 
Va, lune moribonde,
 
Le beau corps de Phébé
 
                         La blonde
 
Dans la mer est tombé.
 
 
 
Tu n'en es que la face
 
Et déjà, tout ridé,
 
                         S'efface
 
Ton front dépossédé.
 
 
 
Rends-nous la chasseresse,
 
Blanche, au sein virginal,
 
                         Qui presse
 
 Quelque cerf matinal !
 
 
 
Oh ! sous le vert platane
 
Sous les frais coudriers,
 
                         Diane,
 
Et ses grands lévriers !
 
 
 
Le chevreau noir qui doute,
 
Pendu sur un rocher,
 
              L'écoute,
 
L'écoute s'approcher.
 
   
 
Et, suivant leurs curées,
 
Par les vaux, par les blés,
 
                         Les prées,
 
Ses chiens s'en sont allés.
 
   
 
Oh ! le soir, dans la brise,
 
Phoebé, soeur d'Apollo,
 
                         Surprise
 
A l'ombre, un pied dans l'eau !
 
 
 
Phoebé qui, la nuit close,
 
Aux lèvres d'un berger
 
                         Se pose,
 
Comme un oiseau léger.
 
 
 
Lune, en notre mémoire,
 
De tes belles amours
 
                         L'histoire
 
T'embellira toujours.
 
   
 
Et toujours rajeunie,
 
Tu seras du passant
 
                                    Bénie,
 
Pleine lune ou croissant.
 
   
 
T'aimera le vieux pâtre, 
 
Seul, tandis qu'à ton front
 
                         D'albâtre
 
Ses dogues aboieront.
 
   
 
T'aimera le pilote
 
Dans son grand bâtiment,
 
                         Qui flotte,
 
Sous le clair firmament !
 
   
 
Et la fillette preste
 
Qui passe le buisson,
 
                         Pied leste,
 
En chantant sa chanson.
 
  
 
Comme un ours à la chaîne, 
 
Toujours sous tes yeux bleus
 
                         Se traîne
 
L'océan montueux.
 
   
 
Et qu'il vente ou qu'il neige
 
Moi-même, chaque soir,
 
                         Que fais-je,
 
 Venant ici m'asseoir ?
 
   
 
Je viens voir à la brune,
 
Sur le clocher jauni,
 
                         La lune
 
Comme un point sur un i.
 
 
 
 
 
Alfred de Musset
 
Contes d’Espagne et d’Italie (1830)




 




Venise



Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,
Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.
La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.
Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.
Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,
Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.
Ah ! Maintenant plus d'une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.
Pour le bal qu'on prépare,
Plus d'une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.
Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Presse encor son amant,
En s'endormant ;
Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S'oublie en un festin
Jusqu'au matin.
Et qui, dans l'Italie,
N'a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?
Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.
Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu'à nos yeux a coûté
La volupté !
                                                                                                  Alfred de Musset